Par Mathieu Jaborska
17 septembre 2024
4 commentaires
Partager
Un an après Sound of Freedom, deux autres films issus du milieu conservateur américain ont pris d’assaut le box-office : Am I Racist ? et God’s Not Dead : In God We Trust.
Les conservateurs américains aiment se plaindre que le cinéma populaire contemporain est trop «politique» pour plaire au grand nombre. Pourtant, c’est bien un film on ne peut plus politique qui vient de remporter la médaille en chocolat du box-office du week-end du 14 septembre. Am I Racist ? (Suis-je raciste ? dans la langue de Michel Leeb) n’est pas le premier long-métrage issu de la droite locale, mais peu ont eu un tel succès.
A lire aussi
Sound of Freedom : scandaleux thriller complotiste, coup de génie marketing… ou les deux ?
Un succès d’autant plus remarqué que le nouvel opus de la saga God’s not Dead (Dieu n’est pas mort en français), subtilement sous-titré In God We Trust, vient lui aussi perturber les habitudes du classement, d’ordinaire peuplé de blockbusters bourrins et de super-héros en collant. Un phénomène ponctuel qui reste assez caractéristique du circuit de distribution américain.
Suis-je raciste ? (question rhétorique)
De temps à autre, des films produits en dehors des gros studios régulièrement cités dans ces colonnes parviennent à occuper assez de salles pour percer au box-office américain, soutenus par la presse conservatrice et une communauté active sur le net. En juillet 2023, c’était Sound of Freedom, biopic controversé du non moins controversé Tim Ballard, qui était parvenu à sortir dans plus de 2 600 salles (chiffre monté ensuite jusqu’à 3411), remportant la somme impressionnante de 250 millions de dollars, soit le 10e plus gros succès de l’année, devant le dernier Indiana Jones.
A lire aussi
Le méga-bide d’Indiana Jones 5 : Disney a-t-il anéanti la saga de Spielberg et Harrison Ford ?
Cette semaine, c’est un documentaire qui se tape l’incrust’. The Daily Wire, média réactionnaire cofondé par Ben Shapiro, ainsi que le distributeur SDG Releasing, ont tenté un nouveau braquage en offrant à leur nouveau film Am I Racist ? 1 510 salles. Une stratégie qui a payé puisqu’en un seul week-end, il a amassé selon les estimations 4,7 millions de dollars, ce qui le place juste devant Deadpool & Wolverine, qui en est lui à sa 8e semaine d’exploitation.
Selon Variety, Am I Racist ? aurait coûté 3 millions de dollars.
MAIS C’EST QUOI Am I Racist ?
Il s’agit d’une sorte de Borat conservateur, avec en lieu et place de Sacha Baron Cohen Matt Walsh, qui tient un podcast sur The Daily Wire. Walsh fait partie de ces éditorialistes (en France, on les appellerait comme ça) qui sautent sur toutes les paniques identitaires en vogue.
Très connu pour ses positions ouvertement transphobes et plus largement hostiles à la communauté LGBT, il avait déjà sorti la carte du documentaire provocateur avec What is a Woman ?, son énième contribution à la dernière croisade en date menée contre les personnes transgenres, laquelle a, comme souvent, désormais débordé jusqu’à notre beau pays.
Dans Am I Racist ?, il s’attaque aux débats sur l’inclusivité qui énervent tant son camp politique, plus particulièrement aux programmes DEI (pour Diversity, Equity and Inclusion).
Réalisé par Justin Folk, technicien des effets visuels (notamment sur Matrix Reloaded) reconverti dans «la guerre des idées», le documentaire est évidemment tourné en dérision ou loué par la presse, en fonction de l’alignement idéologique de la presse en question (quand il n’est pas simplement ignoré).
Comme souvent dans ces cas, la promotion est assurée par les relais conservateurs, ainsi que par un engagement intense de la part de communautés en ligne, lesquelles lui ont par exemple assuré un 99% sur l’agrégateur Rotten Tomatoes. Juste pour rigoler, c’est plus que Mad Max : Fury Road (86%) et Spider-Man : Across the Spider-Verse (94%).
Dieu est-il mort ? (question théorique)
Voilà qui coïncide avec une autre sortie, visant cette fois un public religieux : God’s Not Dead : In God we Trust, cinquième (eh oui déjà) volet de la saga délicieusement nanardesque des God’s Not Dead.
Lancée par le carton du premier long-métrage, qui mettait en scène un méchant professeur forçant ses étudiants à renier l’existence de Dieu, la franchise constitue le fer de lance de Pinnacle Peak Pictures, autrefois connue sous le nom Pure Flix, spécialisée dans les «faith movies», le cinéma chrétien. Une société qui a elle-même déjà versé dans le documentaire réac’ avec la distribution en 2019 du fameux Unplanned, drame pro-life très critiqué.
Cette fois, l’indéboulonnable révérend Dave part à l’assaut d’un Congrès sur le point de renoncer à la religion, dans un film qui prétend poser la question «Dieu est-il mort dans la politique américaine ?». La promotion assume prendre un tournant plus politique et donc s’intéresse a priori plus ou moins subtilement à la question de la laïcité. Une approche qui lui a permis d’atteindre la dixième place du classement, avec 1,4 million de dollars de recette récolté dans 1 392 salles tout de même.
Un doublé relatif qui se transforme en triplé quand on réalise que le biopic hagiographique de Ronald Reagan réalisé par Sean McNamara (Bratz : In-sé-pa-rables !, Aliens Ate My Homeworks, Comme chiens et chat : Patte dans la patte), avec Dennis Quaid, reste 5e au classement derrière Am I Racist ?, après 3 semaines d’exploitation.
Le public de droite américain est donc particulièrement représenté au box-office, comme relevé par Walsh lui-même chez Variety :
«[Hollywood] laisse plein d’argent sur la table, et nous sommes heureux d’arriver et d’en prendre un peu. Parce que, au minimum, vous refusez explicitement de servir 50% du public.»
Une remarque qui refuse au spectateur conservateur le plaisir d’un bon vieux blockbuster d’action, mais pas si étonnante de la part d’un influenceur persuadé qu’une sirène noire n’est «pas logique scientifiquement» (vis-à-vis du taux de mélanine, pas de la queue de poisson géante).
A noter tout de même que les trois films font face à une concurrence moins redoutable que celle de Sound of Freedom. Les quelques grosses productions du moment sont Beetlejuice Beetlejuice (en deuxième semaine), le remake de Speak No Evil et The Killer’s Game, énorme bide programmé.
Am I Racist ? et God’s Not Dead 5 n’ont pas de date de sortie française. Fut un temps, elles auraient été improbables. Désormais, certains circuits de distribution prennent parfois le risque. SAJE distribution propose par exemple sur sa plateforme de nombreuses productions Pure Flix et a même tenté l’expérience en salles pour le carton Sound of Freedom. Les idées s’exportent, le reste aussi.
Rédacteurs :
Mathieu Jaborska
- Comedie
Partager
- Sur Twitter
- Sur Facebook
- Commenter
Newsletter
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous n'êtes pas d'accord avec nous ? Raison de plus pour vous abonner !
Soutenir la liberté critique
Vous aimerez aussi
Commentaires
Connexion
Veuillez vous connecter pour commenter
4 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
tonto
Abonné
il y a 20 heures
Bon, pour le reste de l’article, je ne dis pas. Les deux films mentionnés ont l’air pas mal dans le genre.
J’ai vu uniquement le premier film Dieu n’est pas mort et c’était une catastrophe, j’ai presque eu honte de croire en Dieu tant c’était mauvais… ^^
(Non, Geoffroy, pas d’inquiétude, je ne deviens pas de gauche)
tonto
Abonné
il y a 20 heures
C’est dommage de ramener sans cesse «Sound of Freedom» à ce côté «faith movie» voire conservateur. Le réalisateur n’est en rien idéologue et le film absolument pas. Je comprends qu’on ait sorti tout plein de polémiques vu les discours de Jim Caviezel (et semble-t-il, de Tim Ballard, qui a l’air assez atteint).
Mais le film existe indépendamment de ces polémiques. Certes, il fait de son personnage un héros, tout comme Mel Gibson transforme William Wallace en hérault de la liberté sans peur et sans reproche, comme Joe Wright fait de Churchill un homme politique à la Capra dont l’idéalisme est la plus belle arme ou John Lee Hancock faisait de Walt Disney un grand rêveur qui avait raison de s’opposer au rigorisme de l’auteur britannique qu’il adaptait.
On a une foule de biopics qui omettent complètement les aspects plus sombres ou négatifs de leurs personnages. Est-ce grave ? Peut-être un peu dans la mesure où ils prétendent imposer la vérité, mais n’oublions pas que c’est du cinéma, et que le cinéma est précisément un joli mensonge qui embellit la réalité pour ne montrer que ce qui est beau et nous amener de belles leçons de vie et d’espoir.
A partir de là, je trouve que Sound of Freedom devrait lui aussi être détaché des polémiques qui ont entaché sa sortie car RIEN dans le film ne porte à la polémique, tout vient uniquement de commentaires faits par des personnages sulfureux lors de sa promotion. Ce n’est même pas un «faith movie» tant la foi occupe 2 mn de film et ne revient jamais dans le scénario…
Après, en tant que film, c’est régulièrement moyen ou maladroit, mais je trouve dommage ce besoin de salir un film qui, en tant que tel, n’a rien de polémique ou scandaleux, et ne relaye aucune des théories complotistes qu’on lui attribue auxquelles son réalisateur ne croit probablement pas un instant (il a l’air pas mal plus intelligent que Caviezel).
Voir les réponses (2)